Espoir
Je viens d’entendre aux informations TV qu’une jeune française d’origine marocaine, Myriam Bourhail, fille d’ouvrier, et vivant à Villers-Cotterêts, vient d’obtenir le meilleur résultat au baccalauréat 2014 avec plus de 21 de moyenne. Cette information m’interpelle et m’émeut à la fois. Emotion de voir qu’on peut encore en France surprendre en venant des couches dites défavorisées et faire tomber les obstacles de la sélection par l’origine. Emotion de voir l’engagement du corps professoral, tant vilipendé de nos jours, pour accompagner cette jeune personne et contribuer à son succès. Emotion de voir que ce sujet en est encore un dans notre pays des droits de l’homme où la réussite d’une fille d’immigré fait la une des journaux. Emotion devant le pied de nez de la vie qui voit naitre cette surdouée dans une ville dont la mairie vient de basculer vers le Front National. Emotion enfin, d’écouter cette bachelière s’exprimer avec autant de maturité et défendre sa république en dévoilant son souhait de s’engager en politique pour changer le monde.
Le cas de cette jeune fille d’immigré m’interpelle toutefois. Combien d’obstacles viendront encore lui barrer la route du succès dans un monde où le mode de reproduction social reste un des éléments les plus discriminants pour l’accès des personnes de la diversité à la catégorie des élites. Il n’en demeure pas moins vrai que les élèves des milieux modestes réussissent moins bien que les autres. Selon l’INSEE, en France, le statut économique, social et culturel des parents explique, aujourd'hui, une plus grande part de la variation des scores des élèves qu'en moyenne dans l'ensemble des pays de l'OCDE. En bref, l'école française est davantage reproductrice d'inégalités sociales que celle des autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Pour autant, les enfants d'immigrés réussissent non pas moins bien, mais parfois mieux que les autres. A niveau social équivalent, les enfants d'immigrés sont même plutôt meilleurs. Ils sont plus ambitieux et les parents d’immigrés sont plus nombreux à souhaiter que leur enfant poursuive leurs études après le baccalauréat. En effet, ils se positionnent de manière plus positive par rapport au système éducatif français, alors que pour beaucoup de parents non-bacheliers, les difficultés scolaires de leur enfant seraient plus souvent vécues comme la poursuite de leur propre échec.
Le cas Myriam paraît donc battre en brèche ce que nous entendons toute l’année sur l’école: ces statistiques déprimantes de la reproduction sociale qui montrent que l’école française est championne du monde, de l’univers, de la reproduction des inégalités à l’école.
Ces chiffres et ces données confortent pourtant ce que la sociologie a étudié de près et depuis longtemps et formulé comme tel: notre école est une école d’héritiers pour reprendre le terme popularisé par Pierre Bourdieu. C’est surtout à la fois une réalité bien documentée par les statistiques et une représentation bien ancrée dans les esprits. Pour réussir à l’école, mieux vaut en maîtriser les codes, les «habitus» et avoir accès à l’information pour faire les bons choix d’orientation. C’est ce qui explique en partie la réussite des enfants d’enseignants. Ce que montrent également les statistiques sur l'origine sociale des élèves c’est que, pour décrocher le bac, le mieux c’est d’avoir un parent bachelier!
On pourrait reproduire ce principe à l’infini. Pour être médecin, ne vaut-il pas mieux être fils ou fille de médecin ? Idem pour le monde des arts et des médias où pullulent les « fils et filles de ». Faut-il s’en offusquer ? Je ne crois pas. Il est dans la nature humaine de vouloir le meilleur pour sa progéniture et de tout faire pour lui donner sa chance de réussir. Lui enseigner les codes et habitus de sa propre profession apparait donc comme un élément de l’éducation transmise à sa descendance. Une forme de compagnonnage familial, de transfert d’un héritage comme le ferait l’agriculteur ou le charpentier vis-à-vis de ses enfants, préparant ainsi ceux qui désireraient prendre la succession dans les meilleures conditions pour le faire.
Il demeure cependant la question de l’accès à la profession ou plutôt à la catégorie professionnelle, la CSP (catégorie socio-professionnelle) comme on dit en sociologie, pour ceux qui ne sont pas du sérail. Et c’est là que le bât blesse.
Positivons ! Le moteur de l'ascenseur social n'est pas grippé. Il suffit de voir l'origine de certains de nos ministres dont le premier !
Souhaitons bonne chance à Myriam.